SLEEP | Jason Yu (2023)

Il arrive régulièrement qu’ici je vous fasse part de films sortant en salle déjà précédés d’une certaine réputation. Applaudi à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, sélectionné pour le festival de Sitges, pour le TIFF, lauréat du Grand Prix du Festival de Gérardmer, autant dire que SLEEP, le premier long métrage de Jason Yu, fait partie de ce genre d’œuvres. 

Premier film de son réalisateur, dernier film de son acteur principal, le regretté Lee Sun-kyun, SLEEP se démarque en portant l’horreur et le fantastique, non vers un thème totalement inédit, mais vers un traitement assez peu commun. 

Je ne sais pas si je suis très clair là.

Laissez moi développer.

SLEEP commence de façon assez anodine. Soo-jin et Hyun-su sont un jeune couple épanoui s’apprêtant à accueillir leur premier enfant. Huyn-su, toutefois, commence à développer un comportement étrange, se manifestant par de fréquentes crises de somnambulisme. Et ici on ne parle pas de crises de somnambulisme à la Tom & Jerry, on parle de crises assez réalistes.
Pour faire simple, le vrai somnambulisme peut tout aussi bien consister à s’asseoir sur le bord du lit puis se rendormir comme déambuler chez soi, se servir dans le frigo, voire même tenir une conversation. Il y aurait même eu des cas extrêmes comme des gens qui auraient été percutés par des voitures et se seraient réveillés le lendemain dans leur lit sans aucun souvenir ou même des gens qui auraient littéralement commis des meurtres.

Le souci c’est que les crises de Hyun-su, d’abord assez anodines, vont assez rapidement virer au grotesque voire à l’inquiétant et Soo-jin commence à s’inquiéter, craignant moins pour sa vie que pour celle de son bébé. 

Mélangeant système D et avis médical, ils vont tenter tant bien que mal de mettre fin à ce soucis mais, malheureusement, il y a des cas où même la science et l’amour ne peuvent rien. Et quand la menace est la personne aimée, la situation devient particulièrement inextricable. 

Je vais vous faire un aveu : en lisant le synopsis, je ne savais pas où le film allait m’emmener et je vous avoue même que j’étais moyennement emballé, craignant un film assez paresseux, se démarquant seulement par son sujet. Il n’en est rien, ne serait-ce que parce que Jason Yu a eu l’intelligence de ne pas puiser ses inspirations que dans le cinéma d’horreur.
Vous apprendrez, par exemple, que l’un des plaisirs coupables de Jason Yu ce sont les comédies romantiques (il a même comme projet d’en réaliser une) et cette affection transparaît pas mal ici. En effet, le couple de Soo-jin et Hyun-sun ressemble pas mal à un couple de comédie romantique typique (avec même le supplément “potichien trop mignon”). Plus précisément, il ressemble à ce que serait devenu ce couple une fois le générique de fin passé, ce qui permet de les rendre attachants assez vite et donc de permettre au spectateur de faire preuve d’empathie à leur égard.

De la même façon, l’autre grande inspiration de Jason Yu pour ce film c’est… le cinéma de Bong Joon-ho. Inspiration à bien des niveaux d’ailleurs puisque le maître (dont Jason Yu a été l’assistant réalisateur et l’interprète) a pu voir une version provisoire du film et a énormément conseillé Jason Yu pour aboutir à la version finale de SLEEP. 

Et cette influence se sent énormément, notamment dans le ton du film, qui, comme chez Bong Joon-ho (et comme dans pas mal de films de genre coréens) va osciller tout aussi bien entre humour et légèreté qu’entre angoisse et tension. Ce traitement, qui faisait déjà merveille avec des films comme PARASITE ou même MEMORIES OF MURDER donne ici une saveur particulière à ce film fantastique. Une saveur pas désagréable il faut bien le dire.

Associé à ça, le film porte pas mal de sous texte, notamment sur la pression sociale et les décisions qu’elle nous pousse à prendre, sur la charge mentale également, Soo-jin devenant petit à petit le personnage central du film et celle qui va porter le monde sur ses épaules. On pourra y voir également un sous-texte sur le patriarcat toxique même si Jason Yu explique que, si sous texte il y a, il est parfaitement involontaire.
C’est également une parabole assez évidente sur le mariage, sur le fait que, comme disait Sacha Guitry, cette institution permet de “régler à deux des problèmes qu’on aurait jamais eu tout seul”. Il n’est toutefois pas cynique et rappelle que ces problèmes sont parfois le prix à payer pour être heureux et que l’amour est une force que rien n’arrête (j’écris cette phrase le 14 février à 22h, merci de votre compréhension). 

Que dire donc de SLEEP si ce n’est qu’il s’agit d’un film surprenant à bien des égards. Tout aussi attachant qu’effrayant, il fait dériver vers l’étrange un trouble bien réel dont, somme toutes, nous pouvons tous être atteints un jour. Il est à l’image de son réalisateur, un cinéphage dont l’univers est à la fois noir et rose.
Une seule certitude, Jason Yu réapparaitra là où on ne l’attend pas.
En attendant ce jour, portez vous bien…

…et profitez de ce loulou de Poméranie avec un nœud pap’ !