CIVIL WAR | Alex Garland (2024)

Alex Garland a souvent dit qu’il ne ferait pas de vieux os à la réalisation, lui qui se sent plus à l’aise en tant que scénariste. S’il ne faut jamais dire jamais, bien sûr, il présente volontiers CIVIL WAR comme son dernier film. Après avoir touché à la SF (EX-MACHINA), au fantastique (MEN, ANNIHILATION), il va, avec CIVIL WAR, mélanger les deux en nous plongeant dans l’horreur bien réelle d’un futur que l’on espère hypothétique.

Si j’avais trouvé sa dernière œuvre, MEN, un poil maladroite, j’étais assez intrigué par les excellents échos précédant CIVIL WAR, parlant même de lui comme de l’un des films de l’année. 

Est-ce exagéré ?
Vous allez voir.

Nous sommes aux Etats-Unis à une époque où une sorte de Donald Trump édulcoré a tellement merdé qu’une seconde Guerre de Sécession a éclaté. Comment ? Pourquoi ? On ne sait pas trop et ce ne sera jamais expliqué. Le fait que l’Amérique soit divisée et finisse par s’entredéchirer par les armes est littéralement montré comme la suite naturelle des choses. 

Elle est féroce, sans doute, absurde, certainement. Elle n’est toutefois qu’une guerre de plus pour les deux personnages principaux, Lee et Joel (Kirsten Dunst et Wagner Moura) deux reporters de guerre pour lesquels cette guerre ne semble qu’une atrocité parmi d’autres. La seule différence est que ces scènes de guerre qu’ils sont habitués à voir ont, cette fois-ci, lieu dans leur propre pays.

Ils peuvent paraître cyniques, désabusés, voire même complices de ce qu’ils voient mais nous comprenons assez vite qu’ils ont dû surtout se construire une carapace en titane pour éviter de conserver un semblant d’humanité.

Lorsque CIVIL WAR commence, ils ont pour projet de réaliser LE scoop, à savoir interviewer le président des Etats-Unis. Quoi d’extraordinaire à ça ? Et bien ce serait une performance dans la mesure où le Commander in Chief est du genre à penser qu’un bon journaliste est un journaliste mort. 

Et qu’un costume ajusté est un truc d’islamo-wokiste à cheveux roses, visiblement

Mais quand vous avez passé votre vie à photographier des conflits, des exécutions sommaires et à vous faire tirer dessus, ce n’est pas ça qui vous arrête. Les voici donc sur la route, accompagnés d’ une apprentie photographe, Jessie (Cailee Spaeny) et de Sammy (Stephen McKinley Henderson) un vétéran qui ne laisserait passer l’occasion d’une bonne photo pour rien au monde.

La suite ? Vous l’imaginez sans peine : une plongée dans le cœur des ténèbres dont personne, même pas nous, ne sortira totalement indemne. 

Soyons clairs, nets et précis : CIVIL WAR n’est pas un film de guerre, contrairement à ce que l’affiche, qui promet la Statue de la Liberté et des hélicoptères de combat, semble vouloir vendre. J’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit d’un film profondément pacifiste par bien des aspects.

Non, le point central du film, c’est le personnage de Lee, porté par une Kirsten Dunst absolument admirable. Le film est autant une réflexion sur le rôle du photographe de guerre en général que l’histoire d’une photographe de guerre dont les compagnons de route sont autant de symboles des différentes étapes de son cheminement, en tant que journaliste comme en tant qu’être humain.

De façon générale, chaque personnage est exceptionnellement bien écrit, ce qui était primordial pour que l’on tremble pour eux pendant tout le film. A ce titre, le dernier quart d’heure est un petit bijou de suspense et de tension.

En restant sur les métaphores, le message de CIVIL WAR est on ne peut plus clair (d’autant plus que, si vous connaissez Alex Garland, vous savez que, dès qu’il a quelque à nous dire, il ne va pas se priver pour nous le répéter trois fois).

Tout d’abord, le parallèle avec les Etats-Unis d’aujourd’hui est évident : à l’heure où j’écris ces lignes il y a quand même une chance sur deux pour qu’un fou dangereux aux qualités de rassembleur pour le moins relatives soit élu en novembre à la tête de la première puissance mondiale et nous n’avons aucune idée du chaos que cela pourrait produire, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, qu’il gagne ou non.

Et le fait que pas mal de conservateurs soient vent debout outre-Atlantique contre ce film laisse penser que CIVIL WAR tape là où ça fait mal. 

Ensuite il y a le parallèle avec nous-même, avec notre rapport à l’actualité. Ce n’est pas nouveau, certes, mais l’essor des chaînes d’actualité, les réseaux sociaux, le besoin constant d’images a rendue de plus en plus floue la frontière entre la volonté de savoir et le voyeurisme pur et simple, et cela vaut autant pour ceux qui consomment les images que pour ceux qui les prennent. 

CIVIL WAR fait comme ces photographes : il ne fait que prendre les images, à nous de poser les questions, à nous de réfléchir aux réponses. 

En conclusion, que dire de CIVIL WAR si ce n’est que je crains que la façon dont il est vendu à travers le Monde n’en fasse un flop. Une fois de plus, ce n’est pas un film de guerre, ce n’est pas un film d’action et je me demande si le fait de le vendre tel quel n’est pas une façon justement de prendre de cours le spectateur imprudent en le plongeant dans les horreurs d’un conflit alors qu’on s’attendait juste à un film de Gerard Butler en moins bien (parce qu’il y avait pas Gerard Butler), en l’obligeant à s’interroger sur les choix moraux des personnages, ce qui ne se fera sans s’interroger sur ses propres choix moraux

On ne sort pas de CIVIL WAR indifférent, ce film est une œuvre puissante, cynique, désabusée et probablement désespérée, un film nous rappelant que nous ne sommes à l’abri de rien, que ceux sur qui les tragédies s’abattent ne sont ni meilleurs ni plus mauvais que nous.

Sur ces paroles pleines d’espoir sur l’avenir de l’Humanité (nous sommes le 14 avril 2024, l’Iran vient d’attaquer Israël et on vient de dépasser les 30 degrés début avril), portez vous bien malgré tout…

… et faites un peu gaffe quand vous quittez votre voiture en panique.

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